- Tress le coquelicot (conte)
Tress le coquelicot
Un conte sur la différence.
Tress, le coquelicot, ne parle pas le langage courant des fleurs. Sa manière de communiquer à lui, ce sont les nombres. Difficile dans ces conditions d'entrer en relation avec les autres…
Et pourtant, un miracle s'opère…
Tress le coquelicot
Il était une fois, dans un grand pré fleuri, un joli coquelicot du nom de Tress. Celui-ci était d'une belle couleur rouge, comme ses semblables, et rien ne le distinguait à priori des autres coquelicots.
Et pourtant, il était différent : il ne s'exprimait pas comme tout le monde. Alors que toutes les fleurs utilisaient le langage des fleurs, lui, parlait exclusivement avec des nombres.
Cela lui venait depuis qu'il était tout petit, où ses premiers mots avaient été une composition hétéroclite de dizaines :
-« 15, 43, 50, 18, 24… »
Ses parents qui attendaient avec impatience ses premiers mots en furent ébahis. Ils se seraient bien contentés, eux, de quelques « AREUH, NA, BEUH… », comme le disent souvent les bébés.
Mais apparemment, rien de tel ne vint.
Au fil du temps, Tress développa ses capacités, en accédant d'abord aux centaines, puis aux milliers, et enfin aux millions.
Aujourd'hui, il maîtrisait tous les nombres, jusqu'aux plus grands, de ceux que même un adulte confirmé a du mal à lire.
Tour à tour, il fut pris pour un génie des maths, puis considéré comme un attardé de la corolle. Aujourd'hui, il était simplement mis à l'écart par les siens.
Ben oui quoi ! On ne savait pas comment communiquer avec lui. On lui disait :
-« Bonjour Tress, ça va ? »
Et on recevait en réponse une flopée de :
-« 44, 8, 10, 14, 139, 1052, 3, 25… »
Que pouvait-on faire de tout ça ? Rien, c'était sûr.
Alors, petit à petit, les autres fleurs s'étaient détournées de lui, et l'avaient marginalisé. Après tout, ce n'était pas leur faute s'il ne voulait pas parler normalement. C'était lui tout seul qui s'isolait, tant pis pour lui !
Tress, lui, bien sûr, souffrait de cette mise à l'écart. Mais il ne savait pas quoi faire pour changer cela. Il avait plein de choses à dire, ça , c'était évident, mais son mode pour les exprimer, ce n'étaient que des nombres, alors…
Un jour, poussa à côté de lui une petite pâquerette.
-« Bonjour » lui dit-elle, je m'appelle Betty, et toi ? »
-« 13 » répondit Tress.
-« Bien Tress, je suis nouvelle ici, peux-tu m'expliquer les usages du pré ? »
Tress ne se fit pas prier :
-« 2012, 2, 22, 10, 73, 1996, 5812, 55, 314, 1662, 1715698314785… »
-« Oh oh , hi hi, c'est très drôle ce que tu me dis là, hi hi hi, on s'amuse bien avec toi ! Je ne connais pas ton langage, mais je vais essayer de comprendre… Alors, tu es là depuis longtemps ? »
-« 2000 » répondit le coquelicot.
-« D'accord. 2000, c'est l'année de ton arrivée, c'est ça ? Ca fait donc quatre ans que tu es ici, alors tu dois bien connaître. Sais-tu le nombre de fleurs qui habitent dans le pré actuellement ? »
-« 2.873.131 » annonça Tress.
-« Waouh, ça au moins, c'est précis ! Merci de l'information… Et tu te plais ici ? » continua Betty.
-« 54, 2520, 12, 35, 150, 13, 1326, 877, 9861… »
-« Hé, attends ! Pas si vite, je ne te suis plus ! Tu sais, exprimer les sentiments avec des nombres, ce n'est pas évident. Peux-tu m'aider à décoder ce que tu dis en faisant des gestes ou des mimiques ? »
Betty le regarda alors s'exprimer, et comprit que, suivant les nombres, il pouvait être tour à tour content, triste, chagriné, réjoui, tranquille, énervé, en colère, joyeux, amusé, inquiet…etc.
Bientôt, à force de le scruter attentivement, elle en oublia ses paroles, et put interpréter justement ses seules attitudes et mimiques.
De temps en temps, un nombre qu'elle avait décodé venait confirmer l'exactitude de son ressenti.
Betty et Tress étaient parvenus à communiquer. Ils partagèrent même des choses importantes de leurs vies.
Ce fut, pour l'un comme pour l'autre, une expérience très enrichissante, une découverte captivante et passionnante.
La pâquerette devenait de plus en plus douée en langage des nombres. Elle réussit même à initier d'autres fleurs intéressées par la découverte d'un nouveau langage.
Bientôt, Tress eut ainsi la possibilité de se faire comprendre d'autres plantes, et son isolement fut définitivement rompu.
Avec sa différence, il reprit sa place dans la vie du pré, qui avait gagné en amour et tolérance.
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